mardi 13 mai 2014

Vérité et vraisemblance

Ca fait depuis quelques jours que je mûris cette idée, aujourd'hui, je voudrais parler de vérité et de vraisemblance.
Petit exercice de définition: est vrai ce qui correspond à la réalité, est vraisemblable ce qui semble correspondre à la réalité.
Peut-on avoir un accident de parachute, se jeter de 1500m d'altitude (au-dessus du niveau du sol) et s'en sortir vivant? Invraisemblable, non? Et pourtant parfaitement authentique. Le meilleur article que j'ai pu trouver sur la question est en espagnol et raconte comment un péruvien de 31 ans, Amasifuen Gamarra, a réussi à survivre malgré un problème de parachute. L'information date du 7 Mai 2014.
La première fois que j'ai eu l'info entre les mains, c'était une bête réplique de l'annonce AFP, et aucun travail n'avait été fait: un miracle, survie d'une chute de 1500m alors que le parachute ne s'est pas ouvert et que le sous-officier est tombé inconscient alors qu'une sangle s'est enroulé autour de son coup. Aucune fracture.
Plusieurs points: d'abord, il en était à son cinquième saut, ensuite, il est bien en vie et va bien, et la chute a bien eu lieu. Mais toute la vérité n'est pas faite sur cette histoire. Il semblerait que lorsque la sangle s'est détaché, une partie du parachute s'est bien ouverte, mais pas complètement, ce qui a bien pu ralentir la chute, même si ça n'a pas autant ralenti que l'on aurait pu l'espérer. Il n'est donc pas tombé en chute libre. Mais quand on sait combien de parachutistes ont pu mourir à cause de problème de sangle et d'ouverture de parachutes... s'en sortir sans une fracture... ça tient quand même du miracle!
Réponse: oui on peut tomber de 1500m d'altitude, avoir un problème avec son parachute, atterrir inconscient mais en vie.
Et pour revenir au tout début, c'est vrai mais invraisemblable. Dans les commentaires du journal que je lisais, certains cherchaient un "truc". Et le truc, c'est l'ouverture partielle du parachute. Ce qui serait encore plus invraisemblable, ce serait la chute de 1500m, sans parachute du tout, sans aide d'autre personne, et d'atterrir en chute libre sans dommage. Mais là encore, en allant chercher la petite bête, il est possible de se retrouver (avec beaucoup de chance) dans une zone de forêt dense où les branches amortissent la chute avant de finir en tombant dans l'eau. Situation invraisemblable mais possible.
L'être humain a plus de facilité a croire le vraisemblable que le vrai. Quand on regarde 100 ans en arrière la technologie qui existait, ce qu'écrivaient les auteurs de science fiction, et la situation qu'on connait aujourd'hui, nous vivons dans un monde invraisemblable pour l'époque d'alors. Mais notre monde est bien vrai.
Les mensonges vraisemblables passent d'autant mieux qu'ils sont gros. En tant que mensonges, ils sont faux, mais si la vérité est invraisemblable, l'humain sera spontané plus porté à accepter le mensonge. Ca a un côté confortable d'accepter des propositions, des phrases qui sont vraisemblables, quoique fausses. Et lorsqu'on pointe du doigt sur les incohérences, plusieurs postures existe:
-Le rejet, le déni, le refus de l'incohérence permettent de ne pas se poser la question. On passe rapidement sur ce qui ne va pas, et tant pis. Attitude confortable, paresse intellectuelle, c'est l'accumulation des incohérences qui peut pousser la personne vers une attitude plus constructive.
-La minimisation, l'explication à la va-vite permettent de prendre l'incohérence telle qu'elle se présente, et de la considérer comme étant insuffisante pour remettre en cause ce qui existe déjà. Si notre explication permet d'expliquer 90% des situations, tant pis pour les 10% qui restent. Sauf si ceux-ci grandissent en importance parce que la minimisation apparaît pour ce qu'elle est, une réduction excessive de la réalité. On peut alors chercher une remise en question plus profonde.
-L'acceptation des faiblesses de notre modèle de pensée et la révision de celui-ci, selon la profondeur qu'on y met, donne un vrai soutien pour aller vers la vérité. La reconnaissance des limites d'un modèle permet d'évoluer sereinement avec lui et de changer de façon de voir les choses si celui-ci ne fonctionne plus.
Les comparaisons, les analogies, les modèles permettent de faire fonctionner en théorie le monde d'une façon qui se veut la plus proche possible du fonctionnement réel et pratique de celui-ci. Je finirai sur deux exemples. Le premier, c'est la structure de l'infiniment petit. Quand j'étais en cinquième, on me parlait atomes et on me disait que c'était composé d'un amas de protons et de neutrons au centre, et comme un système solaire dont le noyau serait le soleil, les petits électrons tournaient autour. Avec la règle du duet et de l'octet, le fonctionnement des molécules s'expliquait plutôt bien jusqu'à des atomes ayant 18 électrons. En prépa, on nous parle de choses plus compliquées et plus fines, avec des orbitales atomiques un peu chaotiques, des zones où les électrons peuvent se trouver (en gros) et ceux-ci sautent de l'une à l'autre, et les tout petits photons vont et viennent à une fréquence démente pour faire sauter les électrons d'un endroit à l'autre. De nouvelles règles apparaissent avec électrons qui se baladent par paire pour faire des liaisons covalentes, et on nous explique les limites du modèle avec des cas particuliers, qu'on explique quand... on se fait de la physique quantique ou un master-doctorat de sciences fondamentales dans l'infiniment petit, avec des règles toutes plus folles les unes que les autres... mais qui expliquent mieux le réel.
On s'approche à chaque fois de la vérité, mais on sait qu'on explique pas tout. A chaque fois, la force du modèle tient à l'étendue de ce qu'il explique. On a besoin du plus petit modèle pour expliquer, et les autres, pas forcément. D'autres s'en serviront mais pas nous! On a pas besoin de tout savoir... Mais c'est merveilleux de voir combien le monde est immense... et beau!
Le deuxième exemple, c'est les couleurs. La magie des couleurs, c'est la perception de longueurs d'ondes par l'oeil. Tout ce qui bouge entre 400 et 800 nanomètres, en gros, et qui rentre dans l'oeil nous fait percevoir une couleur. Mais c'est un peu plus compliqué que ça, et les débats sur la couleur d'un objet (c'est vert... non, c'est bleu... non c'est turquoise mais un peu olive... euh...^^) font voir combien la perception change d'une personne à l'autre. En pédologie, quand on étudie les sols, la couleur (précise) est essentielle, et on a pour cela un code. Je vous met un lien. Si on veut avoir la couleur le plus objectivement possible, on utilise la charte Munsell, qui existe à la base pour les colorants. Et là, avec toutes les couleurs plus ou moins sombres, plus ou moins bleues, vertes ou rouges, on arrive à se mettre d'accord. D'accord sur un nom qui ressemble pas à grand chose, avec des chiffres et des lettres, mais on se met d'accord! Pour trouver la "vraie" couleur, entre ce qui est perçue, ce est qui altère la perception et le jugement, et ce que nos souvenirs nous disent des couleurs alors que notre vue évolue, il y a de quoi s'arracher les cheveux! Sans compter que nos goûts évoluent au fil du temps ce qui modifie encore notre jugement, et que la luminosité va encore mettre son grain de sel...
Bref, tout ça pour dire que trouver ce qui est vrai, ce qui correspond à la réalité, est parfois invraisemblable, mais quand on y arrive, on trouve une vraie joie, c'est source d'émerveillement, et cela ouvre souvent à plus grand encore, puisque l'on découvre de nouveaux domaines inconnus et passionnants.
Merveilleux pour qui sait conserver un regard d'enfant.

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